énigme pour les vacances (ou ceux qui ont du temps à perdre)

Notre maître a les crocs, et rit ! Coupez la viande pour son altesse, cloches et carillons doivent sonner ! Sortez les tapis ourlés d'argent, lourds de pierreries ! Que le feu grésille, il se fait bien tard ! Lustres et musiciens doivent éclairer l’œil et charmer l'oreille, répandre dans les cœurs ménades, lyres, fantaisies, os et rubans, chiens et amants ! Que poivre et sel raclent ma gorge, et qui hoche y rôtit !

Les poètes et musiciens emplissent la salle, les mets se pressent sur les tables. Mais le seigneur se fait vieux. Et vieux loup veut lit. Ne pas lui soumettre rimes souples et légères, c'est subir ses foudres. Le seigneur se lève :

- Fi à ces tristes mines, fi ! que lied et odes me soient chantés !
Il repère un ménestrel, le désigne en se rasseyant :
- Commences, vas-y ! Lisez, mon enfant.
Le garçon se lève et entame sa prose avec énergie :

Osez, fou que vous êtes ! Les corps se choquent. Mais tu m'empoignes, escogriffe ! Chat mou, chardon vrillé, vil tisserand, lys à roues, cabris à bras ! Vite, sous-mort, sur-vivant, tombe! Et ris le perfide, l'arsenic aux lardons, le sac à rhum amer! Aère aux nattes, pâle à daims, allume, hiatus vivant, si gris de poussière que-

- Assez ! Arrêtes cet enfant, tais-y son caquet ! Le seigneur parle, le poète se tait. Sombre charabia ! Bouillie sans tête ! Le garçon s'efface, garde à la main ses paroles embuées, et se laisse engouffrer par un recoin de la salle.
- Je veux du grand, du beau, du-

- Si vous permettez. Un homme entre en scène et domine la salle, affublé d' un inutile accoutrement aux coûteuses couleurs. J'ai en ma connaissance un tel chant.
- Et bien oui, lis à ma cour ta prose. Il fixa cet homme au verbe grandiloquent, qui entonna, hymne délicieux, une ode aux cieux :

La lune orpheline rend sa laisse, Terre ! Flore enneigée pare les cimes, les vallées glissent sous leur parure de givre. Puis l'aube rit, gantée de nébuleuses framboise et rose, où énergies et flux se tordent. Il vient. Porté par la brise, crânant avec éclat, triomphal, n'horripilant personne, le soleil apparaît. Son cheval tarit courts d'eau et rivières de miel. Son nez mobile, son nez iridescent, enchante l'une et l'autre des faces de la Terre.

- Fini, déjà? Quémandes plus loin ta pitance, je n'en puis plus de ces sottises. Son nez mobile ? Nul. Suivant !
- Mon seigneur, j'ai pour ma part connaissance d'un chant de guerre qui vous ravira les sens.
- Lis-y son poème, s'il y tient ! L’œil du vieillard s'est déjà fait plus sombre.

Entre sud peuplé d'ibères et nord sauvage, les ennemis nous encerclaient. Laissant l'ancien fort aux danois, Mon père fonda ce château de pierre. Quand il partit, baudets et mulets étaient ses seules montures, et son peuple était pétri par la peur et la haine. Forces du mal, à quoi bon nous suivre ? À mort, drakkars d'écailles ! À mort, chevaux fumants aux sabots agiles !
Mais son ennemi avait retrouvé sa trace. À travers les landes et raillant mon père, jusqu'à son château il vint. Sa hache il assène, dalles et portes réduit en poussière. La vague de ses guerriers avala les nôtres, et le porta aux pieds de mon père. Il ne le vit pas, pire! Il était sans armes, nu. Le combat tourna court : son dard laissa un trou béant, et je vois toujours mon père qui tâte, surpris, ses côtes crachant un sang épais et lourd. Et je vois ses mains qui se flétrissent, tant sa vie s'échappe.
Mort au plus profond de sa forteresse. Son âme s'est perdue parmi les pierres.
À présent héritier, l'aîné lia ses frères d'une promesse carcérale. Mais à tord, borg à l'âme, il replongea dans la mêlée.

- Qui est ce Borg ?
- Je ne sais point, mon seigneur...
- Et vous vous prétendez historien ? Suivant !

Un dernier homme s'avance : J'ai de mon côté une histoire légère pour finir la soirée.
- Et bien soit, finissons-en !

Sous la lune or, l'ombre de trois hommes. Le quatrième vient, l'épée au flanc. L'un murmure : une épée ?? L'autre réplique : une rapière oui ! Ne vous froissez pas, mais vos cure-dents m'irritent ! Il mouline d'une main, manque de couper un nez ou une main. Ranges-là, eh ! C... ni rapières, ni lances ! Les larcins de minuit, c'est la dague et le poignard qui en sont rois ! Mais normalement, c'est lui ! De qui ? Le garde de la tour ! Est-il de garde ce soir ? Non ! C'est le pro de ricochets ! Faux ! Qui sonnait les cloches hier ? Dans la rue, ricochets de lames sur les murs. Ce soir, nos bourses sont pleines ! Les gars, bière à volonté ! Clameur.

La reine avinée emplit la salle de ses rires : Rien compris, mais splendide! Ses dents de perle brillent, implacables. À présent, au lion d'or ! (Au lit on dort ! )